Casquette « Ile de Ré » vissée sur la tête, anorak sur le dos, il détonne au milieu de ses copains de jeu, tous en chemise à l’heure de l’entraînement hebdomadaire.
Rentré la veille d’une semaine de vacances sur l’île du golfe de Gascogne, il a des choses à raconter à Jean-Claude, Ghislain et les autres ! Mais ça attendra un peu. Quand il aura, sans aucun doute, terminé de parler stratégie et gagné sa partie de dames.
Dans le Cher, le sport, c'est surtout dans la tête pour certains
Il est comme ça René Estebe. On ne le perturbe pas aussi facilement. « René, c’est un grand champion. On essaye de le battre, mais c’est rare », sourit Jean-Claude, pensionnaire de l’Amicale damiste du Cher, comme René.
Il faut dire qu’il a le jeu de dames dans le sang. Arrivé en France à l’âge de 12 ans, d’Oran, en Algérie, le Berrichon s’essaye d’abord au basket, au CS Bourges. Grand, pas très épais, il n’accroche pas. « Dès qu’on me donnait la balle, j’étais en panique, je ne savais pas dribbler », rembobine-t-il.
Alors, en 1965, à 15 ans, René Estebe s’inscrit à l’activité jeu de dames du centre social de La Chancellerie de Bourges. « J’avais beaucoup plus l’envie de gagner qu’au basket, admet l’intéressé. Je me faisais massacrer par les anciens au départ. J’ai mis trois ans à passer le cap de la défaite mais après, c’est resté une vraie passion. »
À bientôt 70 ans – il les aura en novembre – René Estebe continue de s’agiter dans la petite salle étriquée du centre social du Val-d’Auron. « Je suis un accro au jeu. Cela m’a amené de la réflexion, de l’anticipation », s’exclame-t-il, avant d’avancer ses pions et d’expliquer le coup de la trappe-ricochet (une tactique bien spécifique des dames pour piéger l’adversaire en deux mouvements), vite fait bien fait. Comme si tout était tellement simple.
Ancien ouvrier de l’usine Rehau Tube, à La Chapelle-Saint-Ursin, René Estebe s’est forgé un mental de champion au fil des années. Premier podium aux championnats de France en 1974 où il terminera deuxième après s’être « accroché sans jamais lâcher ».
J'ai coché la date des finales, je m'entraîne depuis le confinement
Premier titre départemental dans le Cher quelques années plus tard. Et aujourd’hui, plus de vingt titres de champion du Cher et un jeu réputé par-delà les frontières berrichonnes qui fait de lui le seul maître fédéral de jeu de dames du département. « Attention, je ne fais aucun cadeau, assène René. Quand je jouais contre des joueurs internationaux, classés au-dessus de moi, ils trouvaient que j’avais un jeu passif, que j’attendais les fautes de l’adversaire. Mais les dames, si tu fais une faute et perds un pion, t’es foutu. »
Il a traîné son bagou en Espagne, aux Pays-Bas. Aujourd’hui encore, la pratique des dames en club lui permet de rester « éveillé, même si cela fatigue plus qu’avant ».
Mais promis, aujourd’hui et demain, il sera prêt à ajouter une nouvelle ligne à son long palmarès lors des finales de la Coupe de France par équipes à Bourges. « J’ai coché la date, je m’entraîne depuis le confinement. »
Thibaut Dailler
